Vetiver
Revue Harfang, octobre 2009
Samuel se réveilla en criant. De ce cauchemar récurrent, il ne gardait jamais qu’une sensation cryptée, entre fièvre et nausée. S’étirant, il constata avec un étonnement sans joie qu’il ne lui manquait rien de ses jambes ni de ses bras. Il se passa de l’eau sur le visage et se lava les mains. Il jeta la deuxième brosse à dents. Comme il se séchait les mains, il remarqua le collier suspendu au porte-serviette. Il posa son flacon de parfum Vetiver en plein milieu de la tablette désertée et donna un coup d’éponge sur le lavabo. (…)
Ici, la version russe (PDF) (traduction Alexandre Sakantarov)
Rahel
Témoignage Chrétien n°3376 et 3377, décembre 2009
On dit qu’il ne faut pas lutter contre les courants. On dit qu’il faut se laisser dériver, obéir à ce qui nous dépasse. Les vagues finissent toujours par rapporter les corps. Le destin n’est clément qu’aux humbles et aux enfants. (…)
Baseline Road, Colombo 09
Senso magazine n°33, décembre 2008
Ma vie s’est arrêtée à l’endroit d’une mauvaise photographie couleurs. Un polaroïd désastreux au grain épais, au cadrage sismique, à la lumière blafarde. J’y suis méconnaissable. Pour couronner le tout, ma pose est ridicule et je bouge. Mais c’est le cliché le plus récent, le dernier qui ait été pris de moi, le jour de mon départ. Un flou à la place de ma main. Dans le hall de l’aéroport Paris Charles de Gaulle, je suis en train de dire « À bientôt » au photographe qui m’a coupé les pieds, le sommet du crâne et une partie de l’épaule gauche. L’émotion. Je rassure d’un sourire exagéré ce père qui dissimule mal son anxiété derrière un souci de composition. Comme il n’en tolérait aucune, il photographiait toutes nos séparations. À demi caché par son boîtier, il répétait « Fais attention à toi ». Je prenais cela pour une formule. C’était une supplique. (…)
De beaux lendemains
La Croix, 20 juillet 2011
Vingt et une heures précises, c’était pourtant inscrit, et en majuscules, en plein milieu du billet ! À croire que les gens sont de moins en moins disciplinés, de plus en plus égarés, pour qu’il soit besoin de leur rappeler qu’au théâtre, l’heure c’est l’heure. (…)
Six semaines et demie
Revue Harfang, mai 2012
Depuis bientôt un an, je me dérobe à dire la neige et les premiers comprimés ronds, les seconds dentelés, l’heure qui s’en est suivie, un lit qui n’était pas le mien, l’utérus démonté comme pour une naissance – mais il n’était question que d’expulser. Depuis bientôt un an, je joue des scènes périphériques, j’écris des circonvolutions d’histoires comme on s’évite dans le miroir. Tout aurait pu continuer longtemps si, la semaine dernière, on ne m’avait volé mon sac. Aurais‐je porté plainte si la photo, à l’intérieur, n’était pas devenue la pièce capitale de mon identité ? (…)
Apologie du solo
Revue Harfang, février 2014
Depuis quelques temps, à Paris, de nouvelles rames de métro font leur apparition. Subrepticement, elles détrônent les anciennes – « vétustes » est un euphémisme, mais on avait fini par s’y attacher. On ne les remplace pas toutes d’un seul coup, les vieilles rames. On distille progressivement la nouveauté. On joue l’effet de surprise. On ménage son effet. Une sur dix, je dirais. C’est à ce rythme que la RATP fait table rase du passé. Et donc, une fois sur dix, ça débouche, flambant neuf, du tunnel. L’air de ne pas y toucher, la nouvelle rame s’arrête à quai, s’ouvre et se ferme sans qu’on ait besoin d’y mettre la main. Et repart aussi crânement qu’elle était arrivée.